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18. La nuit propice

 

ICI WALLONIE

 

 

 

LA NUIT PROPICE

 

La nuit a toujours effrayé les humains. Aussi nos agglomérations deviennent-elles des blocs baignés, dès le tombant, par le néon, la fluorescence et le sodium. Bref, les clartés artificielles sont de plus en plus victo­rieuses des nocturnes. Il faudrait aller très loin pour les retrouver.

Il nous souvient des retours d'école dans les hivers d'autrefois. Que de courses folles en bandes redou­tables et redoutées !

 

Nous galopions, la mallette tressau­tant aux épaules, en gagnant les zones campagnardes qui pénétraient alors jusqu'en ville. Ce que nous préférions c'était de creuser une grosse betterave, d'y percer des yeux, un nez et une bouche et de placer à l'intérieur une bougie allumée. «La tête de mort» ainsi fabriquée nous la plantions sur une perche à haricots et nous allions dresser le tout dans une haie drue derrière laquelle nous nous dissimulions. L'effet de cette macabre mise en scène ne tardait point à se manifester. Une vieille dame, dont nous connaissions les habitudes, survenait. Soudain, elle aperce­vait l'étrange figure qui lançait du feu. La tète de sque­lette brasillait et la passante s'enfuyait en levant les bras armée d'un parapluie et d'un panier qu'on appelait cabas ou banstè.

 

Nous sortions alors de notre retraite en agitant le lugubre trophée que nous promenions triompha­lement. Que d`exploits nous accomplîmes durant les frimas ! Batailles rangées à coups de boules de neige, expéditions terrorisantes autour de logis de commères apeurées, bris de réverbères, barbotages près des pompes publiques alors nombreuses en la cité ou d'une antique fontaine dont on bri­sait la glace. Glissades éperdues voire même mise au pillage du chantier d'une maison mise en construction dont nous éparpillions la montagne de briques neuves, le mortier ou le sable. En vérité, nous étions maîtres des venelles, chemins et rues nocturnes !

 

Nous ne rentrions au logis qu'à l'heure du souper. Après la traditionnelle semonce paternelle (accompagnée d'une claque), on soignait nos gerçures, on étanchait les congélations ou chandelles qui pendaient sous nos narines et ce n'est qu'après le repas du soir que, sous la lampe à pétrole, nous entamions nos devoirs et nos leçons. Alentour, la chambre se creusait d'ombre. L'horloge, dans sa gaine antique, balançait son tic tac inlassable. Le foyer rougeoyait. Enfin, la porte s'ouvrait sur un grand et diabo­lique voisin qui venait <sizer» en contant des histoires à vous faire dresser les cheveux en baguettes de fusils.

Dix fois le « sizeú » rallumait sa pipe éteinte avec une brocale cueillie au brasalî, récipient de cuivre qu'on appendait naguère au coin de la cheminée. Tout cela a disparu ! Les brocalî, les lampes à pétrole, les chandelles et les crasséts (petites lampes à huile grasse) sont devenus des objets d'ornement ou de musée.

 

Mais les enfants d'aujourd'hui n'ont plus l'imagination personnelle. La T.V., la radio, l'écran du ciné les abreuvent. Ils deviennent des imitateurs. En outre, on ne bavarde plus guère à la soirée. La voix des ondes a tué la conversation et surtout la lecture. Nous devenons des robots.

 

Georges REM.



18/08/2010
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