53. A Jean DONNAY
ICI WALLONIE
A JEAN DONNAY
Cher Jean Donnay, vous venez d'obtenir le Grand Prix Septennal de la Province de Liège. Bravo ! Car vous avez un talent fou ! Ce prix, c'est la seconde fois qu'on le décerne. Le premier consacra Georges Simenon, le père de Maigret. Ouvrons ce livre si précieux et si clairement rédigé :« La Peinture et la Sculpture au Pays de Liège». par Jules Bosmant. L'auteur y écrit :« Le nom le plus représentatif de la jeune gravure liégeoise, de celle qui se place le plus directement sur le plan des aînés et soutient le plus glorieusement leur réputation, est certainement celui de Jean Donnay.
Déjà, on ne le discute plus. Ses expositions annuelles à Paris, ses succès particuliers à Brighton, lors de l'exposition de la gravure liégeoise en 1926 (ce fut d'ailleurs un triomphe pour notre art local tout entier), ont consacré une réputation qui dépasse les frontières de la Wallonie. Son métier prodigieux, son entente extraordinaire du procédé, l'habileté étonnante de ses morsures, de ses encrages, de ses impressions, de ses tons si divers où se révèle un incomparable praticien, ont forcé depuis longtemps une juste et générale admiration ».
Il n'y a pas un mot à reprendre de ce jugement précis, et cela date de 1930 !
Mais, Jean Donnay, vous êtes pour nous le chantre des arbres, petits et grands, des haies, des bosquets, des boqueteaux de Cheratte, Hoignée, Sabaré, Sarolay, Rabosée, Argenteau, Wihou, de la Basse-Meuse, de la Julienne, et de tous ces paysages aimés que nous ne pouvons plus momentanément parcourir, car une jambe droite nous fait enrager (la droite, oui, puisque nous sommes de gauche).
Une vieille amitié nous lie et persiste, bien que nous nous tenions éloignés l'un de l'autre. Vous êtes né à Cheratte le 31 mars 1897. Nous vous devons donc le respect, car nous sommes du 23 décembre 1899. Il restait huit jours avant la fin du XIX' siècle, lorsque nous lui fîmes cette bonne blague ! Notre grand-mère maternelle réalisa mieux en venant au monde un 25 décembre à minuit. C'était une originale qui nous confiait :« Je ne vais pas à l'église, amis quand je mourrai, je m'expliquerai avec Dieu. J'ai beaucoup de choses à lui dire».
Vous souvient-il, -Jean Donnay, de nos farces de rapins? De Jeph Lambert et de Luc Lafnet ? Nous avions écrit à plusieurs la revue de l'Académie. Elle s'intitulait :«Le Monde où l'on sent l'Huile ». Avec Luc Lafnet, nous quittâmes un matin la classe de cinquième primaire de Sainte Marguerite. Nous emportions l'atlas de géographie de Roland et Duchêne pour faire le tour du monde. Première étape : l'Allemagne, puis la Pologne et la Russie. De là. par le détroit de Behring, que nous espérions gelé, passage en Alaska. Après quoi on verrait bien ! Nous possédions chacun 3 fr. 50, deux sous de pain et trois bâtons de chocolat. Dans la vallée de la Vesdre, nous attirâmes l'attention du garde champêtre de Nessonvaux qui avait du flair. Il nous arrêta et bientôt nos parents, affolés, nous récupéraient.
Notez qu'à l'époque, les fugues de gosses abondaient. Ils disparaissaient dans la nature où on les retrouvaient à moitié mort de faim et de soif, mais heureux, transfigurés d'avoir contemplé les bois, les vallons, les plaines, qui n'étaient pas encore touristiquées.
On les embrassait à les étouffer, puis on les battait comme plâtre. Jean Donnay, avez-vous fait cela? Sinon quelque chose manque à votre glorieux bagage. A présent, la «civilisation» a changé son cheval borgne pour un cheval aveugle.
Georges REM